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                        Les Sens et l'Huile...

                       

                                        ... ou ma vision de la peinture

 

           

 

     On dit que tout peintre sérieux est censé se poser trois questions : Que peindre ? Comment peindre ? Pourquoi peindre ?  Autant en convenir tout de suite, quand on ressent l'envie, voire le besoin de peindre, les mots risquent d'être terriblement réducteurs. Chacun le comprendra. Demande-t-on à un musicien pourquoi il joue ? Je ne suis pas sûr. La musique s'aborde sans doute d'une manière plus saine et plus simple...

     Je vais tenter malgré tout une réflexion dans ces trois directions. Sans prétention. Juste une présentation de ce que j'essaie de faire, une sorte d'esquisse de ma peinture...

 

                        Que peindre ?

 

     Mes créations débutent souvent en enfilant des chaussures de marche. Non pas que je sois un grand randonneur mais j'ai besoin d'une expérience d'immersion. A la campagne, en forêt, en ville, au cœur d'une mégapole, dans une rue ou sur les ruines d'une ville antique, en été, en hiver, paysages de terre, de pierres, de neige, de bois ou d'eau, de verre et de béton, mais aussi cavaliers, chevaux, portraits, visages croisés au cours d'un voyage, je ne néglige aucun sujet potentiel. J'avoue glaner aussi quelques éléments sur le net. Je dois seulement trouver le bon endroit, le bon angle, le bon moment, le bon feeling, la bonne image.

 

     L'important est d'être prêt. Dans un état de réceptivité optimale. Dans nos vies saturées d'informations, ouvrir ses sens au monde exige une disposition d'esprit particulière, un penchant certain pour la contemplation. Il faut regarder pour aimer, et aimer pour se nourrir. Être sensible à une fresque ancienne, à un visage, à la structure complexe d'un arbre ou d'un roc, aux reflets courant sur l'eau, aux gratte-ciel irradiant la nuit New-yorkaise, à l'allure d'un cheval, aux blocs empilés depuis cinq mille ans au cœur d'un site Minoen...

     Appareil photo en main, je suis à l'affût d'un paysage tout entier ou au contraire d'un seul élément qui m'appelle, me charme, me percute, me délecte. Une personne qui me touche, un accord de couleurs dans une rue, des formes, un élan, une texture, des rythmes, des ossatures... et je déclenche. Je cadre, je recadre, parfois sous toutes les coutures et dans la mesure du possible. Début de composition. Dire que je constitue une banque de données serait exagéré mais il y a un peu de cela. Je recadrerai au plus près de l'émotion. Peut-être, peut-être pas. Sur ordinateur ou directement sur tirage papier. Je rajouterais peut-être quelques éléments piochés sur le net... Mais globalement et à quelques exceptions près,  je peins d'après mes photos. Elles sont porteuses d'émotions vécues et non empruntées à d'autres. C'est un élément clé pour démarrer une toile.

                       Comment peindre ?

 

   Je construis généralement en transposant les formes, les couleurs, les rythmes que j'observe, en les exaltant, en les inventant parfois. Selon les sujets ou l'inspiration du moment, je réalise une esquisse au fusain ou je démarre directement la peinture. Je commence par ce qui m'attire le plus. Il n'y a pas de règles, pas de procédé, rien ne doit être systématique, l'émotion est le fil conducteur. C'est assurément un travail plastique, dans le sens où je veille à la qualité des formes, à l'équilibre et à la circulation des couleurs. La recherche d'un équilibre dans la composition est également primordiale. Pour ce qui est de l'espace, ni peinture à plat ni profondeur réaliste, je crée un espace qui m'est propre, quelque part entre les deux. Une sorte de réalité autre...

     La peinture a ses exigences. De liberté d'abord. De liberté toujours. D'indépendance ensuite. "La peinture s'éloignant du sujet pour devenir son propre sujet". Ne jamais perdre de vue cet acquis contemporain selon lequel l'exactitude peut vite devenir un exercice servile et réducteur. Ce qui importe, encore une fois, ce sont les formes, la couleur, les rythmes, la composition. J'y adhère pleinement mais je nuance le propos. Disons que, si je prends vis à vis du sujet une certaine distance, celle que je décide au fil de l’œuvre, ou plus précisément celle qui se décide au fil de l’œuvre, je conserve un lien avec lui pour la richesse qu'il procure. Évoquer le sujet sans en être esclave, prendre appui sur le réel pour construire une autre image, encore une fois une autre réalité...

     Cela implique une exigence dans la représentation. J'entends par là la représentation de ce qui se crée au fond de moi, en écho de ce que je regarde. Je m'approprie les choses au sens large du terme. Je les digère. Puis je les régurgite trempées de mes forces, de mes faiblesses, de ma rigueur, de mes envies, de mes désirs, de mes souvenirs, de mes maladresses aussi, de mes états d'âme sans doute... et de quelques connaissances plastiques, bien entendu. Je fais le tri, j'élague, je rajoute, je simplifie, je complexifie... Mais loin de tout récit délirant, j'admets être essentiellement guidé par la peinture. La peinture pure. Au final c'est elle qui commande, et elle seule...

     Je vérifie en permanence la circulation du regard sur la toile. Elle est fondamentale et doit atteindre une grande fluidité. Je tourne et je retourne le support. Je modifie en conséquence. Je travaille jusqu'à multiplier les émotions, jusqu'au trouble parfois. Ce sont des témoins infaillibles. Quand j'exulte, c'est le signe pour moi que la toile a pris de l'altitude...

     Les sens et l'huile ? Parce que j'utilise uniquement de l'huile. Pour son odeur, sa sensualité, sa lenteur qui permet de retoucher pendant des heures dans le frais, ses possibilités de repentir. De plus j'avoue ne pas être insensible à l'image intemporelle qu'elle véhicule. J'ajouterai qu'elle est un gros clin d’œil à mon enfance, ma mère était artiste peintre à ses heures perdues et peignait à l'huile...

 

     Soyons clairs, ici pas de concept, de nombrilisme ou de discours pseudo-intellectuels trop souvent de mise. Juste les sens et l'émotion. Comme une musique. Ne dit-on pas que le "comment peindre" se résout pinceaux en main ?

                      Pourquoi peindre ?

    

     Cette question est probablement plus difficile. Plus obscure. Plus indiscrète, complexe, peut-être même plus dérisoire. Elle entraîne forcément des réponses incomplètes, multiples, ou tout au contraire, et paradoxalement, très simples, évidentes. 

     Je glisserai tout d'abord un élément personnel. La peinture est pour moi une résilience. Une formidable résilience après des errements de jeunesse et un état mental dans lesquels je parvenais mal à exister. La peinture m'a littéralement construit. Au passage, je ne remercierai jamais assez ma professeure et maître en la matière, Mme Nouvel, une dame exceptionnelle...

 

     De manière générale, la peinture peut donc accompagner, remplir et construire toute une vie, celle du peintre. Comme un chemin de traverse dans un consumérisme effréné. C'est déjà, à mon sens, une réponse suffisante.

     Dans un deuxième temps il y a naturellement le rapport à l'autre. Une peinture se doit d'apporter quelque chose à celles et ceux qui vont la regarder et l'aimer. Ou ne pas l'aimer d'ailleurs. De la beauté, de l'élévation, de l'émotion, de la méditation, de la délectation, de la réflexion, du plaisir, de la répulsion... que sais-je encore ? Si ce n'est qu'on a besoin, même si ce n'est pas le cas de tout le monde, de cette émotion visuelle, picturale, comme on a besoin, encore une fois cette analogie, d'écouter de la musique. Ou d'aller au cinéma ou au théâtre. Cela redonne goût à la vie. Ce n'est pas un vain mot en ces temps chaotiques et troublés. Cela communique de l'énergie. Voilà une autre bonne raison, offrir de l'énergie ! Il suffira d'atteindre quelques personnes et le pourquoi trouvera une réponse supplémentaire. Et quand bien même ces personnes se résumeraient à un seul individu, la partie serait sans doute gagnée ! La peinture ne changera pas le monde mais elle peut largement soutenir et réconforter.

 

      Dès lors que l'on a compris et accepté cela, il faut à coup sûr s'interroger sur un autre sens du "pourquoi peindre". Quelque chose comme "pourquoi continuer de peindre après tout ce qui s'est passé dans l'histoire de l'art, notamment depuis le siècle dernier ?"

     J'ai alors et simplement envie de dire ceci : la peinture fait partie intégrante de la vie. Elle est une aventure humaine comme tant d'autres. De plus il n'est pas exclu qu'à force de travail et d'émotions, à force de contemplations et de plaisirs, à force de vouloir, à force d'articuler une foultitude d'éléments tel un chef d'orchestre, il n'est pas exclu, donc, que l'on puisse apporter une petite pierre à l'édifice. En toute humilité bien entendu...

     Quand je pense qu'à une époque certains avaient annoncé la fin de la peinture... Que d'autres avaient pensé la dépasser voire l'évincer du monde des arts... Quelle prétention ! Certes, concepts et installations naissants pouvaient être pertinents. Pour autant, ce nouvel académisme devait-il monopoliser la scène artistique ?

     

     Au final on aura toujours besoin de la peinture. C'est juste un fait. Elle sera toujours là. Forcément, un art qui remonte à la nuit des temps, qui se compte (et se conte !) en milliers d'années pour la seule peinture occidentale, en dizaines de milliers d'années si l'on songe aux peintures rupestres... N'était-il pas une aberration, dès le départ, de vouloir y mettre un terme ? De penser en être arrivé au bout ? Les arts plastiques n'auraient-ils pas été envahis par des esprits trop cérébraux, chagrins, dépassionnés, frisant le hors jeu avec cette question du pourquoi peindre ?

     Au fond la peinture est juste une passion. Et en tant que telle, elle n'a pas à se justifier.

 

 

 

   

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